Récit couvrant une période depuis 2012 dans la vie de Daniel MATHIEU, face à l'ultimatum de rares maladies incurables (cholangite sclérosante primitive et rectocholique hémorragique). Dès le diagnostic tombé, survient le rappel de mettre de l'ordre dans sa vie avant qu'il ne soit trop tard : quelques mois tout au plus ! Entre les symptômes qui s'accélèrent, les malaises qui s'enchaînent, les examens qui se suivent, les traitements aux effets incertains et la transplantation du foie, la menace d'ablation du colon, le chronomètre décompte l'approche d'une échéance prochaine et définitive. Une course abracadabrante d'espoir, d'avenues improbables, de questionnements, de la médecine, du miracle tant espéré et de ses conséquences insoupçonnées.

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mercredi 27 janvier 2016

JOUEZ AVEC LE MONDE

«Jouez. Le monde n'a aucun sens. Ne l'oubliez pas.»
– Miraba• Bush


Depuis mon arrivée à Santa Barbara, je vais marcher sur la même plage presque tous les matins, généralement vers la même heure. Je vois donc souvent les mêmes personnes, avec les mêmes toutous.

La plupart des chiens se ressemblent (différentes sortes de labrador, on dirait…), donc j’ai un peu de difficulté à les distinguer d’un matin à l’autre. Mais celui-ci, sur la photo, je le reconnais toujours. Il semble être un labrador, comme la plupart des autres. Mais si vous regardez bien, vous verrez qu’il n’a que trois pattes.

J’aime tellement regarder ce pitou courir! Il s’élance aussi allègrement que les autres, sinon davantage. Il ne semble absolument pas démuni (en le voyant aller, je me demande même quelle est l’utilité de la quatrième patte… Il semble parfaitement en équilibre et, petit bonus, il n’a pas à lever la patte pour faire pipi!) Il court avec tout ce qu’il est, avec le nombre de membres qu’il a. Et son petit corps semble vibrer de vitalité et de joie. Qui sait, peut-être que le fait d’avoir une patte en moins rend le reste de son corps encore plus vivant!

Quand je regarde ce petit être courir si librement, mon cœur frétille d’inspiration… J’ai juste envie de l’imiter, de bondir dans la vie complètement – exactement telle qu’elle est, telle que je suis. Évidemment, je sais bien qu’en tant qu’ animal, il n’a simplement pas la capacité de se poser dix mille questions au sujet de sa patte manquante. Mais même si ce n’est pas un choix, dans son cas, il me donne envie de faire comme lui.

Les humains, on aime tellement comprendre ce qu’on vit. En cherchant une citation pour accompagner ce message (car je choisis les citations en fonction du thème, non pas l’inverse), j’en ai trouvé de nombreuses qui soulignent que donner un sens aux événements est essentiel, etc. Et effectivement, voir ce qu’une épreuve nous apporte nous aide à la rencontrer courageusement, car on ne sent pas perdu dans un univers fou qui nous attaque aléatoirement. Mais parfois, les événements n’ont simplement pas de sens – ou plutôt, on n’y a pas accès de notre perspective humaine limitée.

Un ami me parlait récemment de sa sœur. Elle a été endoctrinée pendant 20 ans dans une secte, refusant tout contact avec mon ami. Et un an après s’en être finalement sortie et avoir recommencé à cultiver un lien avec lui, elle est décédée dans un accident de voiture. Aucun sens. Ou on n’a qu’à penser à la mort d’enfants. Ou aux cataclysmes. Ou à ma mère, et peut-être la vôtre, qui est décédée alors qu’elle était encore pleine de vie. Vraiment, aucun sens.

Nous sommes généralement tellement privilégiés, en Occident, qu’il est tentant de penser que tout porte un message profond qu’on pourra décoder, et qu’on a toujours un trésor digne d’une carte postale à en retirer. Mais parfois, la seule chose qu’on sait est qu’on ne sait pas. Et si on attend de comprendre pour rembarquer dans la roue de la vie, on passera nos journées à côté. Oui, si on attend de savoir pourquoi on a perdu notre quatrième patte pour s’élancer pleinement, on sera tellement alourdi par notre quête de sens que nos trois pattes ne seront pas assez pour nous porter.

Il est difficile d’encaisser des coups qui semblent n’avoir rien à nous apprendre, ou de manquer des occasions qui nous semblaient destinées. Comment peut-on bondir dans la vie après de telles déceptions? Eh bien, il n’y a qu’une façon de bondir dans la vie : en le choisissant. Non pas parce qu’on voit le sens de l’expérience, mais parce qu’on voit à côté de quoi on passe en le cherchant.

Même sur trois pattes, il y a tant à découvrir et à explorer…

Bonne journée!
Marie-Pier

Source : Matin Magique du 26 janvier 2016, http://www.matinmagique.com

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